Harmanoom – Extrait

EXTRAIT D’HARMANOON – LE TEMPS DES ORIGINES

Au cœur de la nuit suivante, les tourments de Jornis se rappelèrent à lui. Alors que la pluie tambourinait sur la petite fenêtre de la soupente, l’adolescent se réveilla de nouveau et se recroquevilla sur ses membres torturés par le mal. Cette fois-ci, la sensation de brûlure était vraiment trop forte et il ne pouvait retenir la plainte, mi-gémissement, mi-sanglot, qui s’échappait de ses lèvres. Il restait là, assis sur son lit défait, plié en deux, à se balancer lentement d’avant en arrière, priant pour que cela cesse. Il sursauta lorsqu’on lui saisit délicatement l’épaule.

— Viens, lui murmura une voix féminine.

Abruti par la souffrance, les yeux noyés de larmes, il se laissa entraîner à travers la maisonnée endormie jusqu’à la cuisine déserte.

Sa mère l’installa à la grande table en bois patinée par l’âge, autour de laquelle toute la famille se réunissait à chaque repas, et revint peu après avec une cuvette remplie d’eau froide dans laquelle elle lui ordonna de placer ses mains. Il obéit docilement et réprima un hoquet de surprise : le liquide était glacé. La douleur, stupéfaite elle aussi, ne semblait plus très bien savoir comment réagir : elle oscillait entre des hauts et des bas chaotiques, et Jornis pouvait apercevoir au centre de ses paumes des plaques rouges qui s’étalaient ou s’étiolaient tour à tour. Très vite toutefois, l’eau se réchauffa dans la bassine et bientôt des volutes de fumée s’en échappèrent. Allait-elle se mettre à bouillir ? Le garçon préféra ne pas le découvrir. Il ramena ses bras contre son torse et glissa ses doigts sous ses aisselles.

Cependant, sa mère n’en avait pas encore fini avec lui. Installée sur le banc d’en face, elle attrapa l’une de ses mains, puis l’autre et les frictionna alternativement avec un baume apaisant aux herbes rafraîchissantes. Il ne s’y connaissait guère en plantes, mais crut néanmoins reconnaître le délicat parfum de menthe qui se dégageait du petit pot dans lequel elle puisait sans relâche pour le masser, tout en l’abreuvant de paroles réconfortantes qu’il n’écoutait qu’à moitié. Ses yeux restaient rivés sur sa peau surchauffée : elle absorbait goulûment l’onguent et retrouvait un aspect sec et terne bien trop rapidement pour que cela paraisse naturel. Malgré les soins prodigués, le phénomène s’intensifiait.

Soudain des flammèches se mirent à danser au creux des paumes de Jornis ; la fermière et son fils se figèrent, ahuris. L’adolescent eut tout juste le temps d’écarter les bras de leurs deux visages avant que d’énormes langues de feu ne jaillissent brusquement. Elles s’élevèrent jusqu’à s’approcher dangereusement du plafond. Sa mère poussa un cri d’effroi et tenta d’éteindre ce surprenant incendie : elle jeta de l’eau sur les membres enflammés, les tamponna avec un linge mouillé et les trempa dans la cuvette. Rien n’y fit. Dès que la peau se débarrassait de l’élément liquide avec force chuintements et vapeur, elle brûlait de plus belle.

Bouche bée, les mains immobiles posées devant lui sur la table, le garçon regardait les flammes qui s’échappaient à la verticale de ses paumes et évacuaient toute la tension accumulée depuis si longtemps. Il ressentait un immense apaisement. Enfin ! Enfin la souffrance venait de le quitter ! Non pas pour un court répit, mais de manière définitive, il le sentait. Les larmes inondaient ses joues, de soulagement et non plus de douleur cette fois-ci.