La Quête du Temps 2 : Souvenances – Extrait
EXTRAIT DE LA QUÊTE DU TEMPS – TEMPS 2 : SOUVENANCES
Tandis qu’Elbutian s’échinait à réorganiser sa petite troupe, Onerik, lui, scrutait le ciel avec attention, tout en s’agrippant fermement pour ne pas basculer par-dessus bord. Cette tempête n’était pas naturelle. Trop soudaine, trop violente, elle semblait être arrivée de nulle part et se concentrer exclusivement sur le lac. Qu’est-ce qui pouvait bien l’alimenter ?
Le vent hurlant les transperçait jusqu’à l’os et ils se mirent à parler encore plus fort pour se faire entendre malgré les éléments déchaînés. Chaque fois que l’un d’entre eux criait quelque chose, de nouveaux éclairs zébraient le ciel furieux et le phénomène se renforçait, implacable. Des paquets d’eau se jetaient à l’assaut du canot et ils allaient finir par tous basculer dans les profondeurs noires et glaciales. Et qui savait ce que les dieux avaient caché là-dedans ?
Le Maître des Éléments hésita : devait-il invoquer la pluie ? Ou le vent ? C’était par ce dernier que tout avait commencé. Il ferma les yeux, inspira lentement à plusieurs reprises et entra en communication avec l’air. Il se fondit en lui et adopta sa vibration, sa substance. Les particules qui composaient son corps s’agitèrent, le contour de sa silhouette devint flou. Il se fit peu à peu translucide. Il n’était plus homme, il était vent. Ses compagnons, qui avaient repris leurs places respectives et tentaient de lutter contre les éléments de manière plus pragmatique, regardèrent, médusés, sa chair perdre en consistance. Ils avaient rarement l’occasion d’assister au spectacle de ce Maître réservé et peu démonstratif de ses talents. Celui-ci était toujours là, mais ils pouvaient percevoir à travers lui les vagues se dresser contre eux et se fracasser sur la barque.
Libre de toute entrave physique, Onerik se laissa ballotter par le mauvais temps, puis glissa sur les courants ascendants et descendants, à la recherche d’une solution. Il pensait apaiser la tempête ou la détourner de leur chemin, comme il aurait pu le faire avec n’importe quelle bourrasque ou n’importe quel orage. Il entonna une incantation doublée d’une danse éthérée propres à modifier la composition et la direction du phénomène selon son gré. Invisible à tout regard humain, il se mouvait avec grâce dans le vent, déplaçant ici et là des particules infimes pour créer un nouveau scénario : une brise plus douce qui ne soulèverait plus d’énormes vagues et qui pousserait la pluie loin d’eux.
Seulement, l’air lui résistait. Il obéissait à une autre volonté, une volonté plus grande, plus imposante que la sienne. Le Maître des Éléments se rendit vite compte qu’il ne parviendrait à rien par ce moyen : c’était une tourmente déclenchée en réaction à leur présence en ces lieux, une invocation de protection des plus simples et pourtant terriblement efficace. En fait, le vent, et l’orage qu’il entraînait avec lui, ne faisaient que réagir aux sons.
Là était la clé : le son ! Soulagé d’avoir trouvé une solution, il se matérialisa dans la barque. Toujours agrippé au banc de nage, les yeux clos, il inspira profondément à plusieurs reprises jusqu’à ce qu’il ait retrouvé l’usage de son corps gelé et trempé. Puis il tâcha d’avertir ses compagnons.
— Silence ! rugit-il pour se faire entendre par-dessus la fureur des éléments. Plus un bruit !