La Quête du Temps 3 : Discordances – Extrait

Couverture de La Quête du Temps - Temps 3 : Discordances

EXTRAIT DE LA QUÊTE DU TEMPS – TEMPS 3 : DISCORDANCES

HANTÉ PAR UN VISAGE

Le regard de Tenikken glissa sur la berge couverte d’herbes hautes jaunies par le froid, les rochers larges et rebondis qui en émergeaient çà et là, et les arbres aux troncs noirs et à la ramure vert-gris qui les attendaient de l’autre côté du cours d’eau. Le paysage s’estompa, une brume blanchâtre envahit son champ de vision. Surpris, le jeune homme cligna des yeux à plusieurs reprises, mais rien n’y fit. Un visage apparut alors, le visage de la femme de ses songes. Il s’émerveilla comme chaque fois de la finesse de ses traits, de la teinte sombre de sa peau, de sa chevelure abondante… Son cœur s’emballa, puis plongea brusquement dans l’abîme lorsqu’il aperçut une larme perler au coin de l’œil noir comme la nuit et glisser lentement sur la joue si douce. Il déglutit péniblement. Il ne comprenait pas. Pourtant il sentait, oh oui ! il sentait qu’il aurait dû faire quelque chose… mais de quoi s’agissait-il ?

— Relève donc les pieds, Tenikken ! l’apostropha son cavalier en lui tapotant le genou droit.

Le visage aimé vola aussitôt en éclats, ainsi que le brouillard, et l’interpellé revint à la réalité. Les compagnons venaient de choisir le gué qui leur semblait le plus favorable et s’engageaient l’un après l’autre dans le courant. L’eau grise tourbillonnait autour d’eux, cherchant à les engloutir. Elle montait toujours, léchant à présent le ventre de leur cheval. Suivant le conseil de son guide, le Maître de Vie éloigna ses bottes de l’onde glacée.

Dans sa tête, une voix murmura soudain : « Il ne faut pas traverser. Reviens ! Reviens ! Tu dois rebrousser chemin ! » Le visage aux immenses yeux tristes s’imposa encore à lui. De nouvelles larmes s’échappèrent des prunelles de nuit, la voix reprit son injonction, plus pressante. Cette femme brune, il devait la retrouver ! Ce regard profondément affligé lui serrait trop le cœur. Incapable d’en supporter davantage, il se débattit brusquement pour se libérer. Déséquilibré, il bascula sur le côté, entraînant dans sa chute l’individu auquel il était rattaché. L’impétueux cours d’eau les accueillit avec avidité et les engloutit tous deux.

Le liquide glacé étouffa son cri en s’engouffrant dans sa bouche grande ouverte.